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En tant que manager, dans un environnement en constante évolution, il est rare de trouver des solutions parfaites aux problèmes rencontrés. Résoudre ces problèmes, c'est accepter des solutions imparfaites. Il est crucial pour le néo manager de sortir de l'expertise et d'apprendre à vivre avec ces solutions simplement satisfaisantes : c'est ce qu'enseigne l'expérience managériale décrite dans ce papier.
Le nouveau manager cherche généralement à maîtriser les compétences "visibles" du management, comme la communication, la planification et l'organisation. Il "fait" plus qu'il "n'est" manager. Il est orienté vers les taches et les opérations quotidiennes car c'est concret. Il est d'abord guidé par sa rationalité d'expert d'un métier. Quand il rencontre un problème, il s'appuie inconsciemment sur le lien de causalité (plus facile à appréhender que la complexité, qui génère une inévitable incertitude). Il se fait fort de prendre en compte toutes les dimensions, et tous les éléments d'une situation par l'analyse et la déduction. Les problèmes et les opportunités sont formulés en termes d'un objectif unique qui peut être optimisé. Les compromis sont faits en réduisant les variables à une échelle commune : il faut que ça "rentre" dans son raisonnement. Le monde, qu'il a observé longtemps en tant que collaborateur, est, selon lui, plein d'événements avec des connexions simples et facilement explicables. Ça fait d'ailleurs plusieurs années, qu'il explique aux collègues, ce qu'il faudrait faire, à la lumière - critique - de ce que fait son propre manager. Son raisonnement consiste à simplifier le problème en le subdivisant en plusieurs parties et en qualifiant les liens entre elles. Dans le meilleur des cas, il élargit son analyse et spécifie les connexions selon leur nature causale (A cause B) , influente (A influence B, C et D), temporelle (B suit A) ou encore intégrée (B fait partie de A). Après tout, pense-t-il, "si nous savons que la situation A mène à l'événement B, alors que la situation A' mène à l'événement C, et que C est meilleur que B, alors nous n'avons qu'à transformer A en A' et les problèmes disparaitront". La linéarité du raisonnement incite le manager à partir des résultats (la solution idéale) qu'il souhaite pour remonter vers les causes qui les provoquent. Ce rétro pédalage mental le conduit à concevoir très soigneusement l'exécution en amont et à la planifier de façon méticuleuse. Il tente ainsi d'abolir l'incertitude future et de prendre des décisions à l'avance. Ce travail de déconstruction - reconstruction - projection conduit le néo manager à être assez dirigiste et à alourdir le contrôle sur sa nouvelle équipe, afin que celle-ci respecte en aval, les prescriptions conçues en amont. La démarche suppose un seul décideur (2 à la rigueur : le manager et son N+1) concevant des objectifs à partir desquels des actions concrètes peuvent être déduites pour une mise en œuvre elle même guidée. Cette démarche contrôlante fonctionne mais seulement jusqu'à un certain point. Au delà, un grand nombre de sujets échappe à cette rationalité, parce que l'indétermination de la situation est trop grande ou que le cerveau du manager ne peut pas tout considérer. En effet, il ne sait pas identifier toutes les connexions, d'autant plus qu'elles ne sont pas toujours inscrites dans une structure linéaire, mais plus souvent dans une logique de réseaux entremêlés. Si ça ne suffisait pas, toute une panoplie d'éléments se charge encore de lui rappeler les limites de cette approche. Tout d'abord, les ressources, les délais et les contraintes budgétaires amoindrissent les possibilités de solutions idéales. Il faut souvent prendre des décisions en fonction des compromis pour atteindre les objectifs fixés. Ensuite l''environnement des affaires est sujet à des changements rapides. Le manager doit prendre des décisions en utilisant les informations disponibles au moment T, même si elles sont incomplètes ou incertaines. Certains managers tentent alors de se protéger par des demandes de données toujours plus importantes, ce qui conduit à des problèmes de distorsion (ils s'appuient trop sur un type de données), de disponibilité (pas de données, pas de décisions) et de crédibilité (mauvaise utilisation des données). Mais la recherche de la solution parfaite est à ce prix ; celui d'un consensus qui existera forcément : face à tant de travail, l'équipe soutiendra le manager ! Evidemment, dans ce type de raisonnement, les collaborateurs sont traitées comme des objets passifs.
Au fur et à mesure que le manager gagne en expérience, il se rend compte que cette recherche de solutions parfaites entraîne une paralysie par l'analyse et retarde la prise de décision. Il développe alors une vision plus large des responsabilités et des défis auxquels il fait face. Il quitte ainsi ses habits d'expert et contextualise plus, c'est à dire qu'il laisse le réel troubler la "pureté" de ses analyses. En effet, les problèmes auxquels il se confronte, sont souvent interdépendants. Les solutions qui fonctionnent dans un contexte spécifique ne sont pas applicables dans d'autres. Il se concentre alors sur le développement de compétences managériales plus difficiles à maîtriser, telles que la résolution de problèmes, la prise de décision (il déduit de ses 1ère séquences managériales, que ce n'est pas inné;) ou la gestion des conflits. Au fur, et à mesure que le manager gagne en confiance, il commence à accepter des solutions imparfaites aux problèmes rencontrés. Il avance en recherchant ces solutions alternatives qui sont acceptables sur différentes dimensions : il ne raisonne plus sur un mais à plusieurs niveaux. Au niveau opérationnel (le plus basique), le manager doit comprendre les détails opérationnels du problème. Cela suppose une analyse des données, des processus et des activités impliquées. Au niveau tactique, il se concentre sur la manière d'optimiser les opérations en ajustant les processus, les flux de travail et les ressources disponibles. Au niveau stratégique, il prend du recul pour évaluer comment le problème s'aligne avec les objectifs et la vision globale de l'entreprise. Il envisage des stratégies à plus long terme pour résoudre le problème de manière durable. Au niveau organisationnel, le manager considère comment les différentes parties de l'entreprise interagissent et comment la résolution du problème affecterait l'ensemble de l'écosystème de l'entreprise. Dans certains cas, les problèmes sont connectés à des facteurs externes tels que les tendances du marché, les réglementations gouvernementales, les partenaires commerciaux, etc. De plus, certains problèmes nécessitent une approche interdisciplinaire, où le manager travaille avec des experts de différents domaines pour obtenir une perspective complète. Enfin, il réfléchit également à la manière dont la solution proposée s'aligne avec les valeurs éthiques de l'entreprise et comment elle pourrait affecter les parties prenantes. La prise en compte de tous ces niveaux que le manager découvre au fil de des jours, l'oblige à accepter l'incertitude et à conserver des options ouvertes pour une résolution ultérieure. Il apprend de ses erreurs et améliore sa pratique en continu, en fonction des retours d'expérience. Il doit faire preuve de souplesse et d'adaptabilité pour trouver ces solutions pratiques et réalisables. Concrètement, il accepte que sa compréhension ne soit pas complète. Il réduit les demandes de données quantitatives en les enrichissant de données qualitatives, lesquelles font sens avec l'accroissement de son expérience. Quand il expérimente une situation ou un problème, il ne sait pas toujours ce qui est inclus dans ce problème et ce qui ne l'est pas. Sa vision de ce problème est partielle (donc partiale) et provisoire. Avant d'être manager, il maîtrisait un ou peut être deux métiers de son équipe ; ce qui limitait déjà sa vision du problème considéré. Il ne peut pas voir à quoi ressemble le problème, vu des métiers qu'il ne connait pas; Cela signifie que d'autres visions généreront d'autres actions qu'il ne remarquera peut-être pas jusqu'à ce qu'elles empiètent sur des zones qu'il maîtrise. Plus important encore, il existe une réelle limite à la compréhension des expériences et des expertises des autres. Un de ses collaborateurs ( ou collègues de même niveau managérial) peut lui parler de son expérience, mais sa description n'est aussi qu'une représentation partielle et, quelle que soit la qualité de cette description, il ne peut pas la partager. Le (plus tellement nouveau) manager ne peut que construire sa propre représentation mentale de ce à quoi pourrait ressembler l'expérience qui lui est rapportée.
Le manager expérimenté en tire quelques enseignements : il a fait un premier deuil et a renoncé à croire qu'il pourra contrôler une réalité par nature imprévisible. Dans de telles circonstances, la reconnaissance de cette limite le conduit alors à accepter ces solutions imparfaites. Il identifie les opinions divergentes et en mesure l'écart avec la sienne. Il monitore son propre raisonnement : a-t-il suffisamment creusé les liens entre les différents éléments de son équation ? Sa première approche était-elle trop réductrice ? Doit-elle laisser la place à cette vision plus large qui met à jour les connexions entre les choses, les évènements, les idées, étant entendu que le comportement du système dans lequel il se trouve ne peut pas être entièrement déterminé par ses seuls composants ? Le manager expérimenté va appliquer une méthode de raisonnement simplifiée en vue d'une solution satisfaisante sans être idéale. il fait fructifier ses expériences par une réflexion sur ses actions, lui permettant de développer ses capacités d'apprentissage au fur et à mesure. Quand il s'agira de faire face aux évènements qui semblent émerger, la gestion de la complexité des situations rencontrées sera un révélateur de son évolution de carrière. Idéalement, ce manager adoptera successivement 3 postures. La première consiste à partir du principe selon lequel le monde est plus ou moins tel qu'il le voit et d'ignorer ainsi l'incomplétude de ses points de vue et de ses représentations. C'est le fameux "My way or the highway" des américains : le manager déplace le problème sur l'autorité qu'il estime détenir face a l'incertitude. L'important n'est pas qu'il ait raison ; l'important est que l'équipe exécute ce qu'il ordonne. La reconnaissance des erreurs, dans cette option, est évidemment difficile et rend la position du manager très rapidement fragile. C'est une limite indépassable pour beaucoup de managers de premier niveau. Ils n'iront pas plus loin parce que l'insécurité de leur position les paralyse. La 2ème posture consiste à reconnaître que le monde est plus ou moins tel qu'il le voit, mais aussi de reconnaître que son propre point de vue est limité et partiel. Le manager déduit qu'il doit faire attention à explorer la situation aussi complètement que possible parce qu'il est conscient qu'il ne voit pas tout et qu'il peut être induit en erreur. Il conditionne sa prise de décision à la consultation de ses collaborateurs, voire à leur déléguer la décision. La 3ème posture consiste à assumer complètement les implications de cette connaissance incomplète de la situation. Sa capacité de penser de manière stratégique se développe : à partir de la consultation des acteurs ad-hoc (les personnes sont considérées comme des sujets actifs), il formule sa prise de décisions en alignant ses actions sur les objectifs à long terme de l'entreprise et en prenant en compte les logiques des autres métiers. Il s'appuie alors sur des qualités telles que
l'ouverture et la sensiblité à toutes sortes d'informations sur une situation, pas seulement des informations factuelles, mais aussi des impressions, des intuitions, y compris celles des autres, lorsqu'ils les expriment ;
la volonté et la capacité de voir la situation d'autres points de vue que le sien ;
la capacité, par conséquent de questionner ses présupposés et hypothèses.
Le manager qui acquiert de l'expérience, ne prend pas trop au sérieux les références, les limites ou les contraintes qu'on lui donne. Il part du principe qu'elles sont également basées sur des incertitudes ou des informations incomplètes ; elles ne seront peut-être pas aussi rigides qu'elles le paraissent. Il a mesuré la complexité de la question qu'on lui pose. Il se méfie, d'ores et déjà de toute solution évidente, y compris les siennes; Toujours sceptique, jamais cynique, il s'enquiert de savoir comment les autres perçoivent les contraintes et les limites. Il apprécie la diversité et résiste à la tentation de rejeter des éléments d'information gênants. Il est capable alors de guider son équipe à travers des périodes de changements et de incertitude. C'est un leader dont la force des raisonnements - sans avoir forcément les réponses - influenceront son équipe.
Photo : Alexas Fotos
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