La gestion de projet, avec ses cadres structurés, ses étapes claires et ses objectifs bien définis, apparaît souvent comme une solution universelle pour améliorer les résultats, maximiser l’efficacité et garantir une exécution sans heurts. Il est facile d’observer les processus et outils qui permettent d’achever des projets dans les délais, en respectant le budget et les spécifications, et de penser que ces mêmes méthodologies peuvent être directement transposées aux contextes opérationnels quotidiens. Pourtant, bien que la tentation soit forte de considérer les opérations (ou "le métier") comme des « projets », cette approche est fondamentalement erronée. Les environnements opérationnels exigent des principes et des méthodes de gestion différents car leur caractère continu et répétitif se heurte à la structure séquentielle et temporaire d’un cycle de projet.
Le cœur de la gestion de projet réside dans la notion de temporalité. Les projets se définissent par leur durée limitée : un début précis, un périmètre clairement établi et un point final identifié. Tout est pensé – la structure de répartition du travail, la durée des paquets de tâches, l’évaluation des risques et les jalons – pour livrer un produit ou un service unique, puis conclure l’initiative. Les opérations, quant à elles, consistent en des activités à l’état stable, répétitives, constantes, qui assurent le bon fonctionnement continu de l’organisation. Songez par exemple à faire tourner une chaîne de production, à gérer un service d’assistance ou à exploiter un entrepôt. Ces activités n’ont pas de « fin » définie et ne visent pas la création ponctuelle d’un produit ou d’un service unique. Leur objectif principal est plutôt d’assurer une performance régulière et d’apporter des améliorations continues en termes d’efficacité et de qualité.
Lorsque l’on applique les principes de la gestion de projet aux opérations, un décalage fondamental apparaît. Les projets mettent l’accent sur le changement et la création de quelque chose de nouveau. Les opérations, elles, cherchent la stabilité et la continuité, de manière à ce que les processus fonctionnent sans à-coups jour après jour. Essayer d’imposer des délais stricts et des mécanismes de contrôle rigides dans un environnement valorisant l’amélioration progressive et le rendement prévisible génère des tensions. Par exemple, mettre en place un diagramme de Gantt détaillé pour une chaîne d’assemblage qui ne « se termine » jamais au sens du projet ne permet pas aux employés de comprendre comment améliorer leur travail quotidien. Au lieu d’accroître l’efficacité, cela crée une complexité inutile et de la confusion.
En outre, les approches de gestion de projet se concentrent souvent sur la livraison de livrables spécifiques. Dans les opérations, ce qui compte, ce sont les performances du processus : rapidité, fiabilité et constance. Les indicateurs clés en opération sont les temps de cycle, les taux de défaut et les niveaux de service. Un état d’esprit « projet », avec ses jalons et ses points de contrôle, ne s’harmonise pas facilement avec ces indicateurs continus. Ce dont les opérations ont besoin, ce sont des principes de gestion allégée, des méthodologies d’amélioration continue comme le Kaizen, Six Sigma, ou des approches Agiles adaptées à un travail permanent, et non à des efforts ponctuels.
Enfin, adopter un état d’esprit projet dans un environnement opérationnel risque de créer une culture du « tout est fait, on passe à autre chose » plutôt que de l’amélioration continue. Si l’équipe pense que son rôle consiste simplement à livrer un produit final défini, puis à s’en tenir là, elle ne s’investira pas dans la compréhension des implications à long terme de son travail. Les opérations exigent une attention durable portée à l’optimisation, à la stabilité et à l’adaptabilité, autant d’éléments qui ne s’inscrivent pas aisément dans les cycles de vie d’un projet.
En somme, bien que les techniques de gestion de projet brillent lorsqu’il s’agit d’objectifs définis et limités dans le temps, elles perdent en pertinence lorsqu’on les applique au cycle continu des activités opérationnelles. Comprendre et respecter cette différence fondamentale est essentiel pour atteindre une véritable efficacité et une performance durable au sein d’une organisation. Et je n'ai évidemment pas mentionné la "fatigue" projet...
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