C'est une de ces évidences qui sont peu creusées ou remises en cause. Le manager est aussi un coach. Les promoteurs d’innovations managériales inscrivent ce rôle comme une des conditions sine qua non de leur succès : le mouvement Agile induit que les managers passent plus de temps à coacher leurs équipiers. Le coaching est encore nécessaire pour « s’affranchir du carcan culturel de la déresponsabilisation du Command&Control » (1) quand une entreprise se lance vers l’holacratie. Le coaching doit alors permettre au coaché de reprendre confiance en lui. Certains managers trouveront un sens nouveau à leur travail dans ce rôle de facilitateur et de développeur de talents. Mais beaucoup n’ont pas choisi cette transformation qui conduit à étendre son champ d’action managérial. Coach ? Eux perçoivent leur rôle comme plus ambigu. « Je ne suis pas psy ! ». Le point sur les 3 difficultés de la mission de coaching pour un manager.
Difficulté 1 : le manager lui-même
Le manager n'a pas toujours les compétences, l'expérience, la formation ou la capacité du coach. Il n’a généralement pas été préparé à jouer ce rôle. Coacher, dans sa terminologie commune, suppose une capacité à comprendre les enjeux et le fonctionnement du système complexe que constitue l'entreprise. Le coach est ainsi à même d'élaborer une stratégie d'accompagnement ad hoc. Laquelle connecte les différentes dimensions personnelle, relationnelle, équipe, organisationnelle et culturelle (voir plus bas). Certains managers de premier niveau développent, à l'occasion, leurs collaborateurs sur des compétences techniques. Le coaching suppose toutefois un accompagnement sur les compétences comportementales, c'est-à-dire l’intelligence émotionnelle parce que le relationnel devient de plus en plus important dans les équipes hybrides. Le rôle du coach consiste par exemple à aider le collaborateur à démêler les émotions qu'il ressent et faire émerger les atouts qu'il possède face a un problème (rôle de support(2). Le coaching demande encore du temps et une planification rigoureuse. Dans l'urgence du quotidien, le manager a du mal à prioriser ce moment. Par ailleurs, le coaching est-il un rôle antagonique au rôle managérial ? La difficulté vient de la contradiction apparente entre l'état d'esprit que suppose le coaching (en support) et l’attente de résultats. De plus, le coaching ne peut être efficace qu'avec des échanges honnêtes et francs entre le collaborateur coaché et son manager-coach. Or le manager contrôle les éventuelles augmentations de salaire et l’évolution professionnelle : l’échange risque ainsi d’être tactique… Ajoutez que certains collaborateurs sont particulièrement difficiles à accompagner pour un manager coach. Tel ce collaborateur qui refuse, le sourire aux lèvres, vos questions et vos conseils. Le découragement est au détour d'un appel TEAMS… De telles difficultés supposent que le manager coach soit capable de rechercher la cause du problème dans sa propre façon de procéder et dans le présupposé (construit sur des relations établies depuis longtemps) qu'il a du collaborateur coaché. Cette capacité d’auto-analyse n'est pas évidente. L'une des tâches les plus difficiles d'un bon coach est en effet d'être plus « coachable » que ses propres collaborateurs qui n’ont pas ce rôle : ouvert aux conseils et aux feed-backs pour s'améliorer, sans être sur la défensive ni personnaliser les remarques, servant ainsi de rôle modèle aux collaborateurs. C'est pourquoi, un coach se ménage a un « espace de supervision » où il est lui-même coaché. Le manager coach trouvera-t-il cette compétence avec son N +1 ? Enfin, certains managers ont beaucoup de mal à écouter : ils reprennent vite le pouvoir dans une conversation de coaching, ruinant ainsi le bénéfice éventuel de ce moment. L’écoute active suppose en effet une écoute sans jugement et sans projection. Au-delà de l'écoute, vient le questionnement. Dans le coaching, il doit être stimulant ; or, poser des questions qui aide le collaborateur coaché est loin d'être évident. C'est particulièrement vrai quand le manager connaît parfaitement le métier du coaché : il peut très vite basculer dans le management directif. L'inverse de l’objectif d'autonomie que porte le coaching.
Difficulté 2 : le collaborateur coaché
Coté collaborateur, les difficultés sont également présentes. Le collaborateur coaché ne comprend pas la portée de la démarche. Pour lui, le coaching, c'est un peu le moment de libérer une pression… sans se rendre compte que la démarche suppose un changement de sa part. Il recherche ainsi une solution simple à son problème plutôt que d'entrer dans une dynamique d'acquisition des compétences nécessaires pour réussir. Ou encore, il se tourne vers son manager coach pour obtenir des réponses : « dis-moi simplement ce qu'il faut faire ». Dans les conversations avec le manager coach, le collaborateur a un comportement à la fois pessimiste et défensif. Imaginons qu'il porte la responsabilité d'un échec conséquent dans un projet et qu'il refuse de l'admettre : il estime qu'il a suivi à la lettre les instructions ou que son approche aurait fonctionné si les autres acteurs avaient fait leur travail. Cette protection de sa propre image s’érige en barrière que le manager coach pourrait avoir beaucoup de mal à franchir. Imaginons encore un collaborateur qui manque de confiance en lui alors que, selon son manager, il possède toutes les qualités nécessaires à la mission qu’il lui a confiée. Cette insécurité le décrédibilise devant ses collègues : c’est le début d'un cercle vicieux que le manager coach aura bien du mal à briser. Complétons le tableau : manager et collaborateur ne se font pas confiance. Le premier décide de coacher le second pour qu'il soit plus fiable. Là encore, le succès de la démarche n'est pas assuré.
Difficulté 3 : l'organisation et la culture de l'entreprise
La culture (normes, valeurs, comportements) de l'entreprise ne se prête pas à la démarche de coaching : par exemple, les collaborateurs estiment que l'entreprise n’est pas un endroit sûr pour admettre ses vulnérabilités. Par ailleurs, on a vu précédemment que le manager n'était pas toujours préparé ou formé. On touche ici au territoire des direction des ressources humaines. Ces dernières doivent elles-mêmes se transformer pour passer d'une approche transactionnelle (qui sera de toutes façons, à moyen terme, automatisée) à une approche stratégique. Dans cette dernière (voir le tableau(3) le coaching est considéré comme un des maillons décisifs de sa valeur ajoutée. En attendant, les équipes de la DRH ne sont pas toujours en capacité de donner l'exemple. Un RRH qui a une population de 400 personnes aura naturellement tendance à faire du transactionnel car il contient l'aspect légal et donc prioritaire, du métier.
Le coaching s’intègre dans une démarche plus large d'autonomisation du manager. Si ce dernier a plus de place pour exprimer sa subjectivité, son jugement et son bon sens face aux process, il se sentira responsabilisé et se mobilisera plus facilement pour cette mission. Par effet de système, cette autonomisation du manager se décline sur son équipe. Quand elle monte en autonomie, il devient moins légitime à dire ce qu’il y a à faire et plus pertinent quand il l’aide à réfléchir et à décider. Le maintien des contraintes fortes du Command&Control n’autorise pas cette mutation des rôles. En tant que supérieur hiérarchique, ce manager s’occupe d'interroger les candidats à un poste, contrôle les budgets, négocie (parfois) les salaires, vérifie les rapports quotidiens, les rapports hebdomadaires, les rapports mensuels (j’exagère ;). Le reste du temps, le manager est en réunion… (J'exagère encore). Il reste qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain : les entreprises évoluent. La bonne décision consiste :
à reconnaître que le rôle est hors de portée pour certains managers. La mission de coaching nécessaire aux collaborateurs ne disparaît évidemment pas pour autant. Mais elle peut être attribuée à quelqu'un d'autre.
à former les managers qui ont l'intérêt et le potentiel pour remplir cette mission. Cette formation doit rester réaliste et considérer l'essence même du coaching : la capacité à poser les bonnes questions.
Le manager coach demeure parfois une formule un peu vide. Ça ne va pas durer : les génération de jeunes collaborateurs sont en effet avides de ce type de support pour progresser dans leur carrière. Et c’est une de leurs conditions pour rester…
Deux déclinaisons possibles à ce papier :
Formation distancielle « Devenir manager coach : techniques, conseils et précautions » 1 jour. Utile à tous les managers de 1er niveau.
Conseil de mis en oeuvre : accompagnement individuel d’un manager en situation de coaching. Durée à déterminer.
(1) Luc Bretonnes et alii, L’entreprise nouvelle génération, 2020
(2) John Heron, The Complete Facilitation Handbook, 1999
(3) Ce tableau est inspiré par Ram Charan et alii, Talents Win: The New Playbook For Putting People First, 2018
Photo : Tima Miroshnichenko
Comments