Et concrètement, un leader, c'est quoi ?
- Erwan Hernot
- 17 janv.
- 6 min de lecture

Le leadership est décliné sur tous les tons et à toutes les sauces y compris dans des formules totalement absconses dont certains vendeurs de solutions managériales ont le secret. Il y a une bonne raison à cela, on prend souvent cette dimension comme la solution ultime à tous les problèmes rencontrés par les managers. Mais si on replace le leader en situation, c'est plus clair. Ce papier détaille en quoi un manager à dimension de leader diffère d’un manager d'envergure plus faible.
Les sollicitations arrivent de tous les côtés. Un leader évalue soigneusement les demandes ou les directives de la direction avant de les transmettre à l’équipe. Indépendant d'esprit, il évalue la demande en fonction de la capacité de l’équipe et de sa contribution aux objectifs de l'entreprise. Si une directive n’est pas réaliste, ce leader repousse, négocie des délais ou recherche des ressources supplémentaires pour s’assurer que l’équipe peut répondre aux attentes sans stress excessif. Par ex. : la direction impose un délai serré pour un projet. Un leader examine la charge de travail actuelle et conclut que le délai n’est pas réaliste. Il retourne ensuite vers la direction avec une explication détaillée, en proposant des échéanciers alternatifs ou en suggérant que les priorités soient réévaluées. En procédant ainsi, ce manager-leader protège l'équipe de l'épuisement professionnel et veille à ce que la qualité du travail ne soit pas compromise. Il démontre qu'il a compris que l'entreprise est un système qui peut être flexible.
A contrario, un manager faible n'a pas envisagé l'entreprise sous la perspective précédente. Il manque d'influence ou de volonté de remettre en question les directives, il transmet simplement la demande à l'équipe sans filtrer ni négocier. Ce qui la conduit à faire face à des attentes irréalistes, entraînant du stress, une baisse du moral et un épuisement professionnel potentiel. Par ex. : dans notre scénario, un manager faible se contente de communiquer la date limite à l'équipe sans poser de questions, obligeant de facto, les employés à travailler tard le soir ou le week-end. Le manque de défense de la part du manager génère de la frustration, une diminution de la satisfaction au travail et potentiellement une instabilité élevée (démissions, demandes de mobilité) de l'équipe.
Un leader navigue avec dextérité sur les océans bureaucratiques, minimisant leur impact sur son équipe. Il ne s'y oppose pas, conscient que ce serait un combat perdu d'avance. Mais il optimise les processus du point de vue de l'équipe, gère les charges administratives et agit comme interface entre l'équipe et l'organisation dans son ensemble afin de la protéger contre des interventions intempestives d'un siège pas toujours au fait des réalités terrain. Par ex. lorsqu'une équipe doit remplir de nombreux documents pour un nouveau projet, ce manager se charge de simplifier les formulaires ou de négocier avec les services concernés afin de réduire la complexité du processus. Ce faisant, il protège le temps et l'énergie de son équipe pour des tâches plus critiques.
Un manager faible transmet directement les exigences bureaucratiques à l'équipe. Il ne raisonne pas coté équipe mais coté émetteur (souvent le siège) estimant que le pouvoir est de ce coté et qu'il faut s'y conformer. A cet égard, souhaitant plaire, il peut même ajouter des niveaux de complexité inutiles aux exigences en question. Résultat : un sentiment de frustration des équipiers, l'impression d'être submergé par des tâches non productives. Par ex. au lieu de rationaliser ou de négocier certaines exigences émanant d'un service support, ce type de manager demande à l'équipe de remplir tous les documents, même si une grande partie est redondante ou non pertinente. Cela entraîne une perte de temps, une diminution d'efficacité.
Un manager à étoffe de leader est capable de gérer les besoins souvent conflictuels de l'organisation d'une part et ceux de l'équipe d'autre part. Doté d'une capacité d'analyse de la situation, il sait quand donner la priorité aux besoins de l'équipe et quand s'aligner plus étroitement sur les exigences organisationnelles. Il maintient une communication ouverte avec son équipe et la direction du service support (par ex.), en s'assurant autant que possible que chacun comprend et tente de satisfaire les besoins de l'autre. Par ex. : si l'organisation introduit une nouvelle politique que l'équipe perçoit comme préjudiciable, un leader fera part des préoccupations de l'équipe à la direction, tout en expliquant également la raison d'être de ladite politique à l'équipe. Il s'efforce de trouver un compromis ou une adaptation qui satisfasse les deux parties.
Un manager faible peut soit appliquer de manière rigide les exigences organisationnelles sans tenir compte de l'impact sur l'équipe, soit, à l'inverse, protéger entièrement l'équipe sans tenir compte du contexte organisationnel plus large. Ces deux approches conduisent à un désalignement qui aliène l'équipe et crée des frictions avec la direction.
Un leader défend les intérêts de son équipe auprès de la direction et des autres services. Il a travaillé sa posture et sa position (notamment ses réseaux formels ET informels) afin d'avoir l’influence nécessaire pour négocier les conditions, obtenir des ressources et protéger son équipe d’un stress inutile. Il est alors considéré comme un acteur crédible qui équilibre les besoins de l’équipe avec les attentes de l’organisation. Les autres acteurs l'écoutent car il a prouvé qu'il "jouait le jeu". Par ex. : en cas de coupes budgétaires, ce type de manager défend les intérêts de son équipe en présentant des données qui montrent sa valeur et l’impact de son travail, la protégeant ainsi des licenciements ou des réductions budgétaires sévères.
Un manager faible n’a pas d’influence et/ou pas obtenu la confiance. Par ex. : face à des coupes budgétaires, un manager faible peut tout simplement accepter une réduction sans argumenter. Certains dirigeants peuvent en jouer et pousser leur avantage, ce qui conduit à une surcharge de travail pour l’équipe, dotée de ressources insuffisantes.
Pour finir, imaginez qu'une équipe travaille sur un nouveau produit. Lequel est lancé avec des fonctionnalités manquantes, à cause d’un retard dans le développement. Ce qui entraîne des critiques négatives de la part des clients et un impact sur les ventes. Un leader assume la responsabilité de l'échec lors de la réunion de bilan avec la direction. Par ex. il explique que, en tant que responsable de l’équipe, il a sous-estimé les risques liés au calendrier et n’a pas suffisamment anticipé les obstacles techniques. Coté équipe, plutôt que de chercher un coupable, il organise une réunion pour analyser ce qui n’a pas fonctionné. Il demande des retours constructifs pour identifier les lacunes dans le processus de développement et les décisions qui ont conduit au retard. Il encourage les équipiers à proposer des mesures concrètes pour éviter que la situation ne se reproduise (par ex. la mise en place de points de contrôle plus fréquents, la réallocation des ressources pour mieux gérer les risques). L’équipe se sent soutenue par son manager, ce qui renforce la confiance et l’engagement. Ses membres savent qu’ils peuvent compter sur leur leader même dans les moments difficiles. Même si elle ne le dit pas, la direction respecte le manager pour avoir pris la responsabilité et pour sa capacité à proposer des solutions.
Un manager faible, lors de la réunion avec la direction, se dédouane en pointant du doigt un ou plusieurs membres de l’équipe. Il mentionne que l’échec est dû à un manque de diligence de la part des développeurs ou à un défaut de communication de la part du chef de projet. Au lieu d’organiser une session de retour d’expérience, le manager ne cherche pas à analyser les raisons de l’échec en profondeur. Il se contente de blâmer l’équipe et n’apporte aucune solution pour corriger les problèmes. Il ne soutient pas son équipe et peut même montrer de l’énervement ou de la frustration envers eux. Cette attitude engendre un climat de peur et de méfiance au sein de l’équipe. Le manager ne propose pas de nouvelles méthodes ou processus pour éviter que la situation ne se reproduise, laissant ainsi l’équipe sans direction claire pour l’avenir. L’équipe perd confiance en son manager, se sentant trahie et abandonnée. Cela peut entraîner une baisse de motivation, une augmentation du turnover, et une détérioration de la qualité du travail. La peur de l’échec et le blâme systématique peuvent créer un climat de méfiance où les collaborateurs évitent de prendre des risques ou d’être innovants, de peur d’être pointés du doigt en cas de problème. Enfin, aux yeux de la direction, le manager faible perd en crédibilité et en influence, car il n’a pas su prendre ses responsabilités ni proposer de solutions pour redresser la situation.
La dimension de leader n'est donc pas qu'une formule théorique. Elle suppose une intelligence de situation et un certain courage, qui, s'ils ne permettent pas de gagner tous les arbitrages, forcent à tout le moins, le respect.
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