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Photo du rédacteurErwan Hernot

L'évaluation de la performance est-elle performante ?



Pour beaucoup d'entreprises, les fêtes de fin d'année coïncident avec la clôture de la campagne d'évaluation annuelle de performance. Les managers ont enchaîné les entretiens durant le mois de décembre. Ces moments ne sont toutefois que la partie émergée d'un ensemble dont les autres éléments ne sont pas toujours visibles. Est-ce que l'évaluation individuelle d'un collaborateur est suffisante pour mesurer sa performance ? La réponse est « non ». Difficile de ne pointer que l’individu ; sa performance s’envisage dans une logique à 3 niveaux qu'il faut toujours considérer en même temps : la performance organisationnelle, à la base permet la performance de l'équipe qui facilite (ou pas) la performance individuelle. Ce papier donne une vision d'ensemble des 3 niveaux de la performance et indique les insuffisances actuelles du processus d'évaluation.


Limite 1 : la performance... pour qui ?

Par le terme « performance organisationnelle », je parle des résultats réels de l’entreprise, mesurés par rapport à ses objectifs et leur fondement : la mission (c'est-à-dire ce que nous faisons), la vision (c'est-à-dire pour qui ou pourquoi nous le faisons). Les objectifs de l'entreprise sont élaborés, par la direction, avant le début de l'exercice financier. Ce 1er niveau de performance prend en compte des facteurs tels que la stratégie, la structure (processus, règles, normes), l'organisation (agencement réel des acteurs : coopération, relations, communication) et les ressources. Pour le dire autrement, la performance dépend de l’efficacité du modèle opérationnel et de la pertinence du modèle d’affaires. De nombreuses entreprises y ont aussi intégré leurs valeurs. Pour la plupart des entreprises fonctionnant sur une année civile, ces sessions de planification ont lieu en été ou au début de l'automne. Les objectifs généraux qui en sortent, sont les repères qui guident ensuite l’entreprise. La direction limite ses objectifs généraux à entre 3 et 5, ce qui permet aux équipes de rester centrées dessus. L’évaluation de la performance organisationnelle se reflète alors dans 4 dimensions : financière, client, processus métier interne et développement des salariés. Elle résulte donc d’un équilibre entre des intérêts pour partie contradictoires : ceux des actionnaires, des clients et des salariés ne se recoupent pas totalement. Elle dépend pourtant de leur degré de satisfaction au regard de critères qui leur sont propres. Or, ces attentes sont satisfaites séquentiellement et non simultanément. L’une des dimensions prédomine toujours, mais aucune ne peut être complètement et durablement subordonnée aux autres. La question est « durablement ; c’est combien de temps ? » Par exemple, la perception par les collaborateurs d'une balance qui penche longtemps du côté d'une autre partie prenante, participe alors au désengagement des équipes et partant, d’une moindre performance.


Limite 2 : évaluer la performance, c’est complexe et on appréhende mal la complexité

La complexité des opérations dans l'entreprise place la performance au-delà de l'expertise et du contrôle d'un seul individu, exception faite des situations de travail qui sont répétitives, spécialisées et régulées par des procédures et des modes opératoires ne laissant place ni à l’imprévu ni à l’initiative. Dans les autres contextes, la performance se mesure au niveau du collectif et de l’organisation du travail : il n'y a plus de réponse simple et unique, personne ne détient la vision de l'ensemble du système. Dirigeants et managers sous-estiment souvent ces ambiguïtés. Ils font la part trop belle à l'action rationnelle tendue vers la réalisation d'objectifs clairs selon une stratégie définie. De fait, les objectifs réellement poursuivis apparaissent parfois vagues, peu cohérents, instables voire déterminés dans le cours de l'action et souvent par les résultats de celle-ci. Il est difficile d'interpréter les événements, de reconstituer ce qui a été réellement fait, identifier les effets de ses actions et de savoir si le résultat doit être qualifié de succès ou d'échec. La source de l’efficacité réside maintenant dans la qualité des relations entre acteurs parce qu'elle autorise la coopération, condition d'un minimum de créativité appliquée au quotidien. La performance de l'équipe favorise la performance du collaborateur, membre de ce collectif. Une étude sur des entreprises menée par Boris Groysberg (1), s’est intéressée au niveau de performance avant / après un changement d’employeur. Il a découvert que lorsque les salariés quittent une entreprise, leur performance diminue. Le talent individuel des acteurs considérés constitue bien entendu, une part importante de leur première réussite. Mais l'autre part de leur succès provient des réseaux qu'ils avaient formés au sein de leur ancienne entreprise. Ils avaient l'habitude de travailler avec des collègues repérés pour leur valeur ajoutée. Privés de ces relations, leur performance a souffert jusqu'à ce qu'ils puissent créer de nouveaux réseaux. S'il était besoin, voilà prouvé l'intérêt de considérer l’aspect collectif de la performance. L'équipe ou le groupe est un construit social complexe que peu de managers maîtrisent réellement : ils sont d'ailleurs rarement sélectionnés pour leur aptitude à cet égard… Ont-ils toujours la capacité à faire travailler EN équipe ? Sont-ils aptes à gérer le système qu’elle/il constitue ? La nature de l'appartenance au groupe, éclaire sa cohésion qui agit sur sa performance. Le manager de 1ère ligne sait-il s’il a besoin d’un groupe ou d’une équipe ? Le degré de collaboration - et son positionnement - n’est pas le même. Peut-il réfléchir à la composition de son équipe et veiller à ce qu’elle soit la bonne pour atteindre les objectifs : « ai-je bien les compétences réunies autour de la table en vue de générer la valeur attendue de chacun ? » Comprendre la mécanique d'un groupe, c'est se donner la capacité d’agir. C’est, par exemple, le cas lorsque le manager s'arrange pour que son équipe rencontre vite des succès, ce qui renforce sa cohésion qui construit sa confiance en elle même et la rend plus efficace : le succès est un facteur de motivation qui affecte à son tour le niveau de la performance. Considérer une performance individuelle suppose une analyse à 3 niveaux (individu, équipe et entreprise). Laquelle suppose une assimilation préalable de psychosociologie, stratégie, développement organisationnel et de compétences métier. Cette analyse exhaustive permet de comprendre qu’une faible performance n'est peut-être pas la conséquence d’un manque de capacités individuelles mais plutôt d’un dysfonctionnement organisationnel (par ex. un processus qui n’est plus adéquat). Dans l’évaluation annuelle de ce manager de première ligne, c’est son supérieur hiérarchique qui devrait tester sa compréhension de la nature du collectif dont il a la charge. Le présupposé implicite pose ici que ce manager de managers possède une forte compétence de coaching. Là encore, ce n'est pas toujours le cas...


Limite 3 : la performance ce n'est pas une fois par an, c'est toute l'année

La performance de l'individu tient à plusieurs composantes : son talent et sa motivation d’une part ; son environnement immédiat, l’organisation efficace du travail, un manager compétent (tant vis à vis de l’individu que du collectif qu’il gère) et des objectifs alignés du haut en bas de l’entreprise. Reconnaissons que la plupart des entreprises sont passées du processus traditionnel d'évaluation des salariés à un processus de gestion de la performance plus cohérent, qui lie la performance de ces salariés à la performance organisationnelle par le biais de la mission, de la vision et des valeurs. Si les dirigeants ne déploient pas d'objectifs en cascade du Comex aux divisions, départements et individus, l’entreprise subit un désalignement dans la genèse puis la poursuite des objectifs. Ce désalignement se traduit par un manque de compréhension des salariés : comment s'intègrent-ils dans le tableau d'ensemble ? Cela se traduit encore par une réduction de leur engagement. Sans cette ligne de mire, les entreprises ont du mal à gérer la responsabilité, les désaccords et les conflits. Les managers peuvent se retrouver dans des situations ambiguës, desquelles ils sortent, par exemple, en récompensant les salariés sous performants parce que les priorités auront changé en cours d'année et n’auront pas été répercutées dans les objectifs de ceux-ci. La séquence annuelle de planification stratégique ne se conclut pas avec la descente des objectifs. Les dirigeants doivent passer du temps à aligner les acteurs entre eux et par rapport aux objectifs des uns et des autres. Ils favorisent la transparence : chacun connait les objectifs des autres ; ce qui allège d'autant plus l'effort de coordination. Ils gèrent alors la progression vers les objectifs de manière continue : ce n’est généralement pas le cas. Même s'il faut noter un effort avec l'entretien de mi-année. Cet effort en continu venant « d’en haut » devrait inciter chaque salarié à suivre et évaluer chacun des objectifs auxquels il est assigné. En d'autres termes, on devrait, entre manager et salariés, parler des objectifs et de leur évaluation tout au long de l'année. Une boucle de retour d'information rapide et constante qui remonterait via les managers, est essentielle à la performance. Ce feed-back autorise alors les managers à prendre des mesures correctives pour s'approcher au plus près des objectifs. Dans ce cas, l'entretien annuel de fin d'année devient un «non-événement».


Limite 4 : le manager selon le rôle qu’on lui donne

Si la rémunération liée aux performances n’est pas pensée comme un composant à part entière du système de management (où, s’il y a responsabilité, il y a autorité du manager), les managers se trouvent en porte-à-faux entre les décideurs et leurs équipes. Certes, ils bénéficient d'une délégation claire pour définir et évaluer les contributions ; on ne peut pas en dire autant lorsqu'ils évoquent les rétributions. Ça se décide au-dessus. Ils sont au mieux consultés. Si leur proposition n'est pas acceptée par leur propre hiérarchie, ils demeurent néanmoins les messagers de la bonne ou mauvaise nouvelle auprès des salariés de leur équipe. Cette position d'intermédiaire est au mieux inconfortable, au pire décrédibilisante. Pour éviter cette discordance, certains managers deviennent économes de feed-back positifs à leurs équipes. A rebours d’une évolution managériale qui a, assez tôt, cherché à prendre appui sur la motivation, l'implication, l'engagement, pour encourager le résultat individuel. Ainsi la performance du salarié pourra être entravée par une pression émotionnelle (comme la crainte, par exemple), une pression économique (faire toujours plus avec moins, par exemple) ou encore une inertie qui n'autorise aucun dynamisme (je vais travailler tous les jours parce que c'est comme ça). A l’opposé, si la rémunération liée aux performances est à la main des managers, ils n’utilisent pas toujours les possibilités offertes pour rémunérer les meilleurs membres de leur équipe. Craignant les face-à-face rugueux, à la suite de leurs propres décisions, ils peuvent amoindrir les différences, lisser les écarts, ôtant tout impact tant sur la performance organisationnelle, que sur l’équipe et l'individu.


L’évaluation de la performance des salariés devrait tenir compte de tous ces éléments. Dans l’entretien d'évaluation, le manager et le collaborateur creusent-ils suffisamment pour trouver la cause profonde d’un problème de performance ? Il est rare que le manager propose une analyse du contexte organisationnel dans lequel évolue son équipe. Depuis près de trois décennies (2), ces dirigeants se sont tournés vers tous les facteurs de performance sauf l'organisation elle-même (agencement réel des acteurs : coopération, relations, communication). Nous sommes probablement au bout de cette logique. À l'heure où on parle de démission silencieuse, revoir l'organisation du travail permettra de redonner une place centrale au travail dans l'esprit des salariés.


(1) Groysberg, Boris (2012). Chasing Stars: The Myth of Talent and the Portability of Performance. Princeton University Press. Dans l'exemple cité, on parle d'analyste dans une banque d'affaires. La contribution de chacun d'entre eux est probablement plus facile à détourer que pour les professionnels d'autres métiers.

(2) Constat effectués par Eric de la vallée dans son blog "Questions de management"

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