top of page
Photo du rédacteurErwan Hernot

Avant les EAE : quel management de la performance en temps de Covid-19 ?


Pour rappel, le processus complet de management de la performance consiste à :


Son but est d’améliorer la performance organisationnelle en développant celle des collaborateurs et des équipes. Dans ce papier, je laisse de côté le niveau organisationnel pour me concentrer sur ces 2 éléments. Je reviendrai également sur la mesure plus en détail dans un prochain papier. La performance est alors, avant tout, l'affaire du manager de 1er niveau :

  1. Il est le supérieur hiérarchique direct

  2. Il est le seul dans la chaîne hiérarchique à être encore au contact opérationnel du métier.

Le concept lui même a concrétisé l’évolution de la pensée managériale. A l’origine, la vision du travail salarié est simple : c’est un échange contractuel entre deux parties. L’employeur fournit un salaire, puis des avantages sociaux en échange de temps, d’une subordination et des obligations, attachées à un poste. Le salarié n’est pas (encore) un potentiel ou un talent. C'est un rouage dans une mécanique. Dans cette approche, les évaluations justifient les ajustements de rémunération (en fonction du temps passé et du respect des cadences imposées). Certaines directions des ressources humaines restent d’ailleurs dans cette veine transactionnelle : administration de la paie, juridique (droit social) et relations sociales pour 2 raisons :

  1. Le DRH demeure dans sa zone de confort; Il est sûr qu’il n’y sera pas contesté en comité de direction sur des thématiques que les autres directeurs lui laissent volontiers ;

  2. Il n'a pas à l'oreille du PDG et des autres directeurs qui restent sur une perception du collaborateur détaillée par McGregor, dans la théorie X et Y(1).

Dans X, lorsque les performances ou la production sont en baisse, la responsabilité est à chercher du côté des collaborateurs. La solution consiste alors à resserrer le contrôle et ajouter plus de pression. Abandonner cette croyance pour un dirigeant c’est un pivot majeur dans l’attribution de la responsabilité : une bonne performance du collaborateur tient alors aussi à celle de l'organisation, un domaine propre aux dirigeants. La théorie Y part du principe que les collaborateurs veulent - et peuvent - bien faire. Elle induit une DRH plus stratégique : gestion des talents dont carrière et recrutement, diagnostic organisationnel, développement RH. Celle-ci reconnaît au manager un rôle dans le développement de la performance de ses collaborateurs. En conséquence, l’entreprise construit un écosystème dans lequel chaque collaborateur peut réaliser son potentiel. Lorsque les performances diminuent, dirigeants et managers sont - au moins en partie - responsables. C’est l’avènement du management de la performance.


Attribution des objectifs

Le cycle démarre par l’attribution des objectifs, cascadés et/ou décidés localement, en fonction du contexte. Il se poursuit dans l’examen des capacités du collaborateur à faire, l’éclaircissement des obligations de chacun (manager et collaborateur) dans l’atteinte des objectifs. Cet aspect ne constitue toutefois que le côté explicite d’un contrat dans lequel les deux parties se mettent d'accord. La performance tient en partie à un autre contrat, « psychologique » celui-là et généralement implicite. C’est un ensemble de croyances, d’attentes évidentes pour chaque partie mais non exprimées à l’autre. Par exemple, un collaborateur considère que dans l'atteinte de tel objectif transverse, c'est à son manager de porter le message dans le silo d'en face, lui doit « bien faire son travail ». Ce manager, de son côté, estime que son collaborateur en charge du projet, s’occupe également du relationnel avec les autres silos. Le télétravail risque de majorer ces causes de malentendus. Cette année, le manager doit être particulièrement attentif à mettre à jour ces non-dits. Avec le collaborateur, ils définissent leurs attentes mutuelles, les règles de base, fournissent des mesures pour évaluer les performances, clarifient les limites et alignent stratégies, objectifs et tactiques. Lorsque le résultat est défini, il faut identifier les « intrants » nécessaires à son obtention : connaissances à acquérir, compétences que le collaborateur mettra en oeuvre, soutien qu’apportera le manager. Si le résultat nécessite l’adoption d’un comportement particulier, il est défini par des actions précises et visibles. Comme le manager ne sera plus à proximité du collaborateur, les 2 décrivent ensemble la performance requise sur les dossiers inhabituels ou délicats. Jusqu’à présent, elle n'est souvent exprimée qu'en terme d'aboutissement c'est-à-dire l'atteinte d'objectifs quantifiés sans toujours entrer dans le détail des actions à mener. Une performance résulte d’un geste professionnel ad hoc mais aussi d'un effort (d’une motivation) qui reste toujours à la discrétion du collaborateur. Dans le nouveau « normal » post Covid, la performance s'entend au sens « large ». Elle dépasse le périmètre étroit des responsabilités du poste de travail. D’ailleurs, les 3 grandes familles d’indicateurs et particulièrement les 2 dernières, sont plus que jamais pertinentes dans le pilotage managérial de la performance :

  • La première se base sur la performance métier, les objectifs, et les compétences,

  • La deuxième se base sur le comportement, le développement personnel, l’aide aux collègues, l’engagement voire l’attachement aux valeurs du groupe,

  • La dernière se réfère aux aléas, aux contributions nécessaires pour s’adapter.

Le collaborateur produit d'autant plus un effort discrétionnaire qu'il fait le lien entre ses actions et sa contribution aux résultats de l'entreprise. Au manager de donner des éléments de compréhension qui l’amène dans un processus d'appropriation et d'évaluation de sa propre performance. Or, que constate-t-on parfois ? Dans sa façon de ne PAS mobiliser le management de terrain sur les enjeux stratégiques et de ne pas lier leurs actions aux résultats, les dirigeants s’empêchent de bénéficier de la dynamique d’une performance globale. Le manager de proximité, au prétexte de pression et de gestion du temps (théorie X), exerce un type de management où il n'y a pas de place pour la mise en perspective de l'action et donc de l’apprentissage, condition de la performance future. L'accent mis depuis des années sur l'éternel besoin de court terme, détruit des « ressources d'intelligence ». « Le cerveau de beaucoup d'acteurs sur le terrain est mal oxygéné » (2). Par ailleurs, la mesure de la performance, avant même la Covid 19 est complexe et on manque de données. Deux exceptions évidentes : les dirigeants peuvent être évalués en fonction de la performance globale de l'entreprise et certains métiers comme les commerciaux mesurent des performances quantitatives. Pour les autres populations, l'évaluation se base sur des critères subjectifs. Nous ne sommes pas très bons pour évaluer les autres avec précision : les évaluations de performances tiennent plus à qui vous évalue qu’à vos performances réelles. À méditer à l'heure du télétravail : en l'absence de données contrebalançant cette subjectivité, des préjugés parfois inconscients se trouvent renforcés par la non présence du collaborateur et du manager au même endroit. Ils peuvent peser, aboutissant à une évaluation biaisée et inexacte.



Vient ensuite le moment de la planification. Là encore, la Covid 19 pourrait apporter une modification substantielle. Le management de la performance est plus que jamais, un marathon et pas un sprint. Les bons managers post Covid savent encapsuler des objectifs très opérationnels dans des objectifs long terme et/ou plus complexes. Baliser ainsi un chemin largement inconnu, le rend plus accessible pour le collaborateur : ce dernier n'est pas submergé ou paniqué seul devant son écran. Il prendra alors de bien meilleures décisions ou saura quand consulter son manager, verra les résultats de ses actions et conservera sa motivation. Dans la supervision de la mise en œuvre, avant la Covid-19, sur le site de travail, le manager pouvait glaner des indices dans le comportement du collaborateur et en déduire sa progression vers l'objectif. Sur cette base, il provoquait alors un point d'avancement plus explicite. La distance empêche de gérer la performance uniquement sur ce type de supervision même si les plates-formes collaboratives permettent une traçabilité et la récolte de données. En post Covid, l'accompagnement managérial reste fondamental même s'il se modifie. La supervision devient plus explicite et plus formalisée. Le manager séquence sa semaine avec ces points d'avancement : les feed-backs maintiennent l’alignement, abordent les changements et les développements inattendus, repriorisent et adaptent la charge quand les projets sont terminées, quand des jalons sont dépassés… Le manager juge quand il intervient et surtout quand il n'intervient pas. Les micro-managers qui pensent que leur attention et leurs conseils incessants renforcent les performances de leur équipe se trompent. La plupart des collaborateurs veulent une direction et pas de directives, une liberté pour effectuer leur travail et des aides concrètes, plus qu’un simple contrôle ou des encouragements incantatoires.

Direction ne signifie pas abandon

Direction ne signifie toutefois pas abandon : des collaborateurs au bureau, avec des managers en télétravail se sont ainsi déclarés moins satisfaits que ceux travaillant sous la supervision de managers présents sur site. Les premiers déclaraient recevoir moins de feed-backs et paradoxalement, disposer de moins d’autonomie et de moins d’opportunités de développement. Le manager améliore sa supervision avec deux types d’indicateurs. A distance, on a vu que le manager « voit » plus le résultat que les moyens mis en oeuvre pour l’atteindre. Pour éviter d'être totalement déconnecté de ces derniers, il peut utiliser des indicateurs « avancés » et « retardés ». Les indicateurs avancés indiquent que le collaborateur est peut-être sur la bonne voie pour atteindre son objectif. (par exemple: une multiplication des tests avant déploiement d’un logiciel peut indiquer une meilleure qualité du produit lors dudit déploiement). Les indicateurs retardés vérifient si le collaborateur a atteint un objectif business, au delà de son propre objectif opérationnel (exemple: la réduction des défauts signalés par les clients vérifie la qualité après la sortie du produit, ce qui contribue à l'amélioration de son image auprès d’eux). L'utilisation de ces deux types d'indicateurs renforce la motivation du collaborateur : avant car elle lui évite de se fourvoyer dans une mauvaise direction et après car elle lie son effort avec la réussite de l’entreprise.


Evaluation

Enfin vient l’étape de l'évaluation proprement dite. Le repère majeur reste toujours l'entretien annuel d’évaluation (EAE) même si l'ère numérique a bousculé cet usage depuis quelques années. La Covid 19 dévoile, s’il était besoin, la grande limite de l'entretien annuel : elle peut s’apparenter à une sanction avec le couperet de la fin d’année, laquelle s’est déroulée comme nulle autre pareille. Cet entretien oriente plus manager et collaborateur vers les comportements passés - que ce dernier va mettre beaucoup d'énergie à justifier - aux dépens de l'amélioration de la performance actuelle et du développement des compétences utiles demain. D'une certaine façon, les entretiens « duels » tels qu'ils existent, représentent encore une vision très transactionnelle de la performance. Par contraste, les conversations régulières, centrées sur la performance et le développement sont indispensables dans un contexte d'équipe hybride. On sort ainsi d’un entretien rivé sur la justification de performance passée pour échanger de façon plus libre sur des objectifs annuels qui raccourcissent en priorités trimestrielles par exemple. Au-delà de l'entretien, en période post Covid, le manager a tout intérêt à élargir/enrichir son évaluation. En effet, le collaborateur en télétravail, seul devant son écran, sera plus susceptible à une mauvaise évaluation qu’en présentiel où la discussion avec les collègues permet de relativiser. Cette évaluation enrichie se traduit ainsi :

  • Évaluer un projet sous plusieurs angles : atteinte de l'objectif opérationnel stricto sensu, contribution de cet objectif opérationnel au business mais encore efforts dans la maîtrise d’une compétence, etc. Par exemple, le manager évalue un projet sur la qualité d'une version logicielle et sa rapidité de sortie, sur la satisfaction du client et la rentabilité qu’elle a apportée, sur le respect des normes officielles qu’elle n’a pas oubliée et sur la flexibilité de l'équipe qui l’a conçue. Dans le même ordre d'idées, l’évaluation du collaborateur n'est pas individuelle (le seul manager) mais le fait de l’équipe : le manager recueille alors l’avis des collègues sur des sujets précis.

  • Utiliser des évaluations relatives aide les collaborateurs à distance à mieux se situer. À titre indicatif, le manager compare les performances d'une équipe avec d'autres équipes de l'organisation (« vous faites 20% moins bien que l’équipe du projet X ») ou contre des entreprises externes (« nous faisons 30% mieux que l'entreprise B »). Les mesures relatives ont tendance à resserrer les liens dans les bonnes équipes, ce qui est toujours utile lorsqu'elles sont hybrides.

  • Utiliser encore plus que d'habitude, l'auto évaluation. Le collaborateur a vécu une drôle d'année. Comment a-t-elle impacté, dans sa perception, son travail en qualité et quantité ? Au-delà de l'effort pour atteindre les objectifs prévus, comment s'est-il adapté ? À part du formulaire habituel, le manager pourrait demander au collaborateur de répondre à ces questions. Ceci lui permettrait de prendre en compte des activités comme l'entraide dans l'équipe, le soutien à un collègue isolé. Autant de gestes qui renforcent les relations dans l'équipe mais qui sont évidemment invisibles en télétravail.

Réparer le collaborateur

Le manager évite la tentation de « réparer » le collaborateur : le processus d’évaluation risque de se terminer par un plan qui vise à transformer des faiblesses en forces. L’hypothèse sous-jacente c’est que tout le monde devrait être bon dans tous les domaines en y mettant du sien. C'est, encore plus à distance, une attente irréaliste, une cause certaine de démotivation. De plus, le manager se souvient que la sous-performance peut être causée par plusieurs facteurs (évoqués dans le schéma plus haut). Les collaborateurs se motivent d'autant plus facilement qu'ils sont sollicités pour développer leurs points forts. A distance, il faut l’exploiter. Le manager peut aller au delà, raisonner collaboratif et binômer des personnes qui, collectivement, possèdent toutes les compétences nécessaires à produire le résultat attendu. La distance n’empêche toutefois pas d'adresser la sous-performance en gardant en tête les circonstances : isolement professionnel, parfois perte d’identification à l’entreprise, flou concernant le rôle au sein de la structure quand on n’est plus au bureau, dégradation des liens avec les collègues. Il faut à tout prix éviter le sentiment d’injustice (dans l’octroi des augmentations et des promotions). A l’occasion d’une réunion, le manager doit être en mesure de présenter des preuves objectives pour étayer son affirmation de sous-performance, comme des comportements spécifiques. L’objectif est de 1. connaître l’opinion du collaborateur sur les raisons pour lesquelles les choses ne fonctionnent pas et 2. de déterminer ce qui est dans et hors de son contrôle.


Le management de la performance Post Covid prolonge la courbe déjà amorcée vers du consensus et de la coopération plus que du contrôle et de la coercition. La distance ne le permet plus. L’objectif ultime de cette pratique est d’instiller une culture dans laquelle la responsabilité de cette performance finisse par se partager : les individus, les équipes se sentent parties prenantes à une amélioration continue de leurs propres compétences et contributions au résultat.


Plusieurs déclinaisons possibles à ce papier :


- "Penser ou repenser aux entretiens annuels d'évaluation avec les enjeux de la Covid 19". Webinaire de sensibilisation, 1 heure.

- "L'entretien managérial : premier outil du manager en présentiel comme à distance". Formation distancielle, 1 jour. La formation se personnalise en choisissant 4 entretiens par les 6 suivants : EAE, Feed-backs, Recadrage, Délégation, Contrôle, Remotivation.

Contact : info@clavaconsulting.com ou sur LinkedIn.


(1) Douglas Mc Gregor, The Human Side Of Enterprise, 1960, j'ai bien conscience en utilisant la grille d'analyse XY de l'aspect caricatural des choses. Mais c'est un article et pas une thèse ;)

(2) François Dupuy, La faillite de la pensée managériale, 2015

Photo Allan Mas


0 commentaire

Comments


bottom of page